Voici un tout nouveau genre de post puisqu’il s’agit ici d’une interview. En effet, j’ai profité de ma collaboration avec le Festival des Fifres de Garonne pour aller à la rencontre des flûtistes invités.
J’ai voulu, pour cette première interview, laisser le micro à une de mes élèves en Cycle d’Orientation Professionnelle au Conservatoire de Bordeaux. Mirabelle DEBON a donc questionné au gré de ses envies Max CILLA, invité en Juin dernier à Saint-Pierre-d’Aurillac (33) pour le Festival.
Né en 1944 , Max CILLA, appelé aussi le Père de la flûte des Mornes, est un flûtiste martiniquais qui a fait découvrir au grand public la flûte traditionnelle de son île natale : la Toutoune-bambou, plus communément appelée la flûte des Mornes. Commençant à jouer de la musique dans sa jeunesse, il voyagea un peu partout (en France, aux Etats-Unis, …) pour découvrir de nouveaux horizons musicaux, et faire découvrir cette fameuse flûte.
• Quelle est la particularité de la flûte toutoune-bambou ?
Dans un premier temps, il faut savoir que le nom de « toutoune-bambou » est une expression créole qui désigne la flûte des campagnes, des régions montagneuses martiniquaises, que l’on nomme aussi les « Mornes ». Cette flûte est pour ainsi dire l’expression d’une relation très simple et très naturelle entre les gens de la campagne et la nature.
En effet, comme les bambous poussent dans les bois des Mornes à l’état sauvage, ces gens – dont mes parents, mes grand-parents et arrières grand-parents – observaient des bousquets de bambous pour en choisir un au profil régulier, voir quasi cylindrique. Ces bambous étaient alors utilisés en tant que « gaules », outil pour attraper des fruits en hauteur dans les arbres.
Mais ces personnes ont eu l’idée d’utiliser ces mêmes bambous pour faire des flûtes, et ce, de manière purement autodidacte.
Suivant leur intuition, en coupant le bambou, ils y posaient leurs doigts (les 3 doigts du milieu de chaque main : l’index , le majeur et l’annulaire), les plaquaient puis perçaient le cylindre au fer rouge, par fusion du bois. Ce fer rouge était souvent une tige métallique de récupération de travaux de maçonnerie, de chantier, qu’ils faisaient chauffer dans des tessons de charbons de bois. Ils accordaient ensuite la flûte avec des outils comme par exemple des lames de ciseaux.
Après avoir terminé la flûte, ils se mettaient à jouer une musique qui était directement en relation avec le ressenti de la nature environnante.
C’est ce que j’appelle la « tradition orale » : l’oralité qui implique tout l’environnement, une relation sensitive, intuitive et naturelle avec la nature.
Les premiers flûtistes de la toutoune-bambou étaient des personnes qui étaient analphabètes, mais qui avaient l’intelligence intuitive, le sens inné de l’enseignement spirituel des choses que l’on porte en nous, mais que l’on perd en s’éloignant de la nature.
Ils vivaient en osmose avec la nature, qui leur donnait cette inspiration.
En allant plus loin, je pense que l’idée de créer une flûte de cette manière peut être reliée à des phénomènes de réminiscence d’un certain passé, comme par exemple, celui des mémoires africaines. On peut trouver, en effet, en Afrique, des flûtes traditionnelles qui ressemblent aux toutoune-bambous : les flûtes « peules ».
Les flûtes des Mornes ont donc pris naissance naturellement dans ces campagnes et ces bois en Martinique.
J’ai alors eu l’idée, avec l’arrivée de la modernisation, mal « adaptée » – qui dénature l’humain dans la mesure où elle devrait respecter plus les valeurs fondamentales de la vie – de « relancer » cette flûte, qui était en train de disparaître.
Les flûtistes de la toutoune-bambou étaient très rares avant l’arrivée de la modernisation, d’autant qu’ils restaient dans les Mornes, et ne connaissaient pas la scène. Ils jouaient pour eux-même, pour les gens du villages, du hameau, dans leur environnement immédiat. Mais avec les années et la modernisation, la flûte et ses musiciens risquaient de disparaître à tout jamais.
Les anciens flûtistes de la génération de mes parents et grand-parents s’en allaient .
J’ai pris conscience de ça.
Ayant entendu cette flûte depuis mon enfance dans la campagne, j’ai voulu la faire valoir en l’étudiant et en faisant des recherches pour qu’il y ait une méthode de fabrication précise. En entreprenant un travail plus scientifique pour cerner les principes de fabrication et en mettant au point une méthode pour les fabriquer dans différentes tonalités, j’ai réussi à faire disparaître cette image d’instrument « aléatoire » de la toutoune-bambou. Cela a permis d’assurer une transmission dans l’art de les fabriquer, sans que cela ne soit basé uniquement sur l’intuition, ce qui était assez complexe.
Aimé Césaire le grand poète, maire de Fort-de-France et député de la Martinique, m’a sollicité en septembre 1977 pour ouvrir un atelier de fabrication et de pratique de la Flûte des Mornes dans le cadre du SERMAC (Service Municipal d’Action Culturelle de la Ville de Fort-de France).
C’est grâce à cette histoire que tout a commencé.
J’ai mis un certain temps pour « faire campagne », et valoriser la toutoune-bambou. Depuis s’est développée toute une émulation autour de cette flûte.
En mémoire de cette histoire, j’ai choisi de la renommer « la flûte des Mornes », pour qu’on se rappelle d’où elle vient.
La flûte des Mornes est la nouvelle appellation de la toutoune-bambou et cette appellation a été très appréciée et est devenue une évidence.
• Ressent-on quelque chose en plus lorsque l’on joue d’une flûte que l’on a soi-même fabriquée ?
J’ai pu, en effet, ressentir certaines choses lorsque je me trouve dans cette situation.
Cette sensation est traduite par une attention profonde et soutenue que l’on porte à la flûte, qui se développe en la façonnant : une attention à tout le processus, même dans sa fabrication.
En effet, cette attention débute dès l’observation de la nature, en commençant par le choix du bambou : est-il bien mûr? A-t-il le bon âge? Sa densité et sa texture sont-elles bonnes ?
Il faut savoir que le bambou est un bois particulier par sa texture fibreuse. De plus, ce n’est pas une tige qui grossit avec l’âge : dès son bourgeonnement, le diamètre du bambou est déjà déterminé. L’âge ne modifie pas le diamètre du bambou, mais il fortifie sa texture. Il y a donc des bambous de différents calibres (comme pour les artichauts).
Tout ceci fait appel à des qualités d’observation de la nature qui demandent déjà une grande attention et l’implication du flûtiste dans la conception de l’instrument, par cette mise en relation directe avec la nature.
Après cette observation, la fabrication de la flûte impacte énormément ce même processus d’attention.
Ce principe de création procède pour moi de l’amour car l’amour est un principe universel.
Avec le temps, ce mot a été utilisé de manière très réductive, en étant surtout associé à des relations à caractère passionnel et sexuel. Mais l’amour est une notion beaucoup plus vaste, qui s’applique à tous les aspects de la vie : aimer la vie, vivre la vie dans son ensemble, prendre conscience qu’on est en vie, que l’on est en relation avec la nature et bien plus. Tout cela, c’est l’amour.
Ainsi, le fait d’avoir envie de créer une flûte provient d’un certain attrait, d’une pulsion de désir mais d’un désir appliqué à la musique et à un instrument de musique : on désire jouer de la flûte, sortir des sons de ce bambou et c’est déjà une forme de passion.
Façonner puis jouer d’une flûte est un processus qui génère un sentiment de satisfaction et de joie évident.
On est heureux de fabriquer cet instrument et lorsque l’on jouera avec, il y aura une symbiose entre l’instrument et le flûtiste. Il sera alors à la fois le créateur et l’interprète de l’instrument.
En dehors de cela, j’ai été aussi attiré par d’autres flûtes que je n’ai pas fabriquées, comme par exemple le traverso. Cette ancienne flûte traversière classique à 5 clefs, en ébène (buis ou autres) m’a beaucoup attiré, via les flûtistes cubains qui en jouaient dans la tradition musicale de Cuba.
J’ai éprouvé alors le même désir de vouloir en jouer car, au départ, c’est la sonorité de l’instrument qui attire le musicien. Le fait de la fabriquer apporte quelque chose en plus mais je pense que lorsque l’on aime un instrument, c’est par rapport à sa nature même, sa sonorité, ce qu’il exprime. Cela explique qu’on puisse être attiré par tel ou tel instrument, que l’on soit ou non le fabriquant. La seule différence est que lorsqu’on le conçoit, il y a plusieurs niveaux d’implication de sa personne.
• En quelques mots, qu’est-ce que la musique pour toi ?
Et bien la musique pour moi, c’est une expression sonore que l’on trouve agréable.
Cette expression sonore est de nature diverse, ce qui explique la diversité musicale dans le monde. Toutes ces musiques sont des expressions sonores, qu’elles soient jouées par des instruments à vent, à cordes, à percussions, etc.., qui ne génèrent que des sons. Ces sons ont une résonance en nous, nous interpellant plus ou moins car chacun est attiré par telle ou telle musique.
Je pense que le son est une vibration et que tout l’univers est vibration, qu’il y existe une forme de résonance qui se passe entre le son et l’humain. On rentre alors dans les particularités expressives du son dont découlent différents types de musique suivant les cultures, les sensibilités, les environnements…
Mais pour moi, la musique est une question de vibration sonore qui nous interpelle et qui génère en nous des sensations très variables, des sentiments de joie, de mélancolie… (la palette d’expression du ressenti est très vaste).
Il existe des musiques qui parlent à notre âme, qui nous font prendre conscience de notre nature profonde, des choses sur lesquelles on ne peut pas mettre de mots, qu’on ne peut pas traduire avec notre intellect, des choses qui sont au-delà du rationnel.
Voilà ce qu’est la musique pour moi, au sens le plus large.
DISCOGRAPHIE : 2 CD
– La Flûtes des Mornes vol. 1 et 2 (distribués à la FNAC et autres disquaires)
– Réminiscence (Live d’un single de 17mn d’une composition de latin-jazz)
On peut également commander le tout auprès de l’Association Arts Musicaux et Expressions par téléphone au 01 47 73 75 48 ou à partir de du mail de Max Cilla : max_cilla@hotmail.com
https://www.facebook.com/max.cilla
Dans le cadre d’un Ciné-Concert au 7 Parnassiens (98 Bd de Montparnasse, Paris 75014), vous pourrez voir Max et l’écouter, le VENDREDI 13 OCTOBRE 2017 à 20h.
Les places sont dès à présent à acheter en ligne ou à la caisse, mais on pourra aussi les acheter le soir même du concert.
À travers ce concert, Max Cilla nous invite à un voyage musical évoquant les divers aspects de la beauté de la nature au cœur des forêts tropicales martiniquaises et les richesses culturelles de l’oralité rurale. Richesses exprimées par les mélodies de la flûte traditionnelle et les rythmes entrainants des tambours et des ti-bwa.
En invité, le griot ALI CISSOKO et sa kora.
Un moment de partage convivial et intense entre les tambours, la flûte des Mornes, la kora et le chant de l’Afrique profonde.
MAX CILLA : Flûte des Mornes, Flûte d’ébène et Guiro
MICHEL CILLA : Tambou-di-Bass, Guiro
LAURENT SUCCAB : Congas
BORIS REINE ADELAÏDE : Tambou Bèlè
THEODORE INNOCENT : Batterie, Ti-Bwa
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